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Au secours ! Mémère en perdition dans son siècle !

par Danièle URIOT

Faut-il en rire ou en pleurer ? En rire je crois !

Ce que nous craignions il y a quelques décennies semble bien se réaliser. La robotisation est en marche. Les robots qui remplacent les hommes dans des activités répétitives et dangereuses sont une réelle avancée pour les hommes. Bravo, même si les emplois sont souvent en perdition dans cette situation.

Mais, ils s’insinuent progressivement dans toute notre vie.

Ce matin là, ayant quelques économies sur mon compte courant en banque (étant de la génération qui essaie d’épargner pour les jours à venir), je décide de mettre un chèque d’une petite somme sur un livret d’épargne que j’ai dans une autre banque (livret que j’ai depuis ma jeunesse). Avec une certaine habitude de mes comptes, je me dépêche de déposer mon chèque pour que la quinzaine d’intérêt démarre le 1er du mois suivant. Les intérêts étant très bas en ce moment, c’est toujours ça de gagné.

Me voilà donc à l’heure d’ouverture de la banque. Je n’y étais pas allée depuis un bon moment car elle était en travaux et là, tout a changé. Quelle surprise dans le nouvel agencement du local.
A gauche, des machines de toutes sortes tout le long du mur. Les robots ont envahi l’agence, ils sont là. Devant, 2 guichets, dont un, sans pancarte et l’autre indiquant la banque.
Que fait-on du contact humain ?

A droite des guichets mais pas en service. Je me présente à un guichet qui semble pouvoir m’informer. La personne, un jeune homme, me demande ce que je veux, puis, brutalement m’interrompt, me disant que les « pros » ont priorité, puis va chercher quelqu’un dans la file et le sert alors que j’avais vu un petit guichet intitulé « pro ».

Je recule d’un pas et j’attends mon tour. Après un bon moment, mon tour arrive, j’explique donc que je veux déposer un chèque sur mon livret d’épargne. Il me répond que je dois faire cette opération sur une machine. Je suppose que je suis ébahie, la bouche ouverte de surprise, car il propose de m’aider.

Nous allons à la machine et, là, il fait un nombre incalculable d’opérations pour arriver à me sortir un récépissé à peine lisible. Je ne suis pas sûre de pouvoir refaire l’opération, il a fait la manœuvre tellement rapidement que je n’ai pas tout suivi. Il me dit en terminant que je devrai attendre 15 jours à 3 semaines pour que l’argent soit effectivement sur mon compte. Et moi qui avait tenu compte des dates d’une quinzaine. À l’ère de l’informatique et des robots dont ils disposent, je n’en revenais pas.

Je suis rentrée « toute débiscaillée » comme disait ma grand-mère.

J’ai 78 ans, je peux donc dire que je suis une personne âgée. Je ne me suis jamais vraiment rendue compte des avancées énormes, dans ce que nous utilisons tous les jours, les appareils ménagers, les robots, les téléphones, les télévisions. Bien que travaillant avec un ordinateur assez souvent, je me sens parfois limitée dans mes actions en ce qui concerne l’informatique. C’est vrai, mais là...
Déjà il y a peu de temps, je voulais envoyer une lettre recommandée et j’ai du le faire aussi avec une machine que j’ai eu du mal à dompter.

Voilà, maintenant, nous devons nous adresser à des machines pour toutes nos petites actions courantes. Une machine vous donne les timbres, si vous n’avez pas de monnaie, une autre machine vous en fait, si vous n’avez pas d’argent une autre machine vous en délivre.

Je me sens dépassée. Pourtant j’utilise l’ordinateur pour les comptes, les impôts, tout sur internet, mais ces machines m’ont déboussolée, ce n’est pas vraiment ma culture. J’aimais le contact avec les guichetiers, même si quelquefois certains n’étaient pas très commodes. Mais au moins on pouvait parler de ce qui nous préoccupait sur le moment.

J’en tire une conclusion ; maintenant on rentre on ne dit rien, on se sert on ne dit rien, on ressort on ne dit rien. Ce n’est pas la peine d’apprendre à dire bonjour et merci, avec ces robots ça ne sert plus à rien.

Je suis perplexe. Comment font les gens qui n’ont pas forcément la capacité d’utiliser ces robots et ces ordinateurs pour suivre et, surtout, avoir les réponses aux questions qu’ils se posent dans la vie courante.

Je dois dire que j’ai pris un « sacré coup de vieux » !

Comme tout le monde je fais mes courses dans des grandes surfaces. Là aussi, c’est un monde à part. Tout est fait pour que le client achète le plus possible et le plus cher. Quand, vous voulez acheter un produit moins coûteux, il n’est pas accessible, il se trouve tout en haut du rayon. La semaine dernière je cherchais quelque chose, je suis arrivée dans un rayon où il y avait une dame assez âgée, en difficulté, elle voulait attraper une boite tout en haut du rayon qui correspondait plus à son faible budget. Elle est montée sur le rayon du bas, mais elle ne savait plus en redescendre. J’ai du l’aider à descendre. Elle m’a remercié et m’a dit que tout ce qu’elle voulait dans ce magasin se trouvait toujours tout en haut.
Nous avons aussi affaire à des nouvelles caisses, où nous passons devant un robot pour payer nos achats. Une personne pour surveiller plusieurs robots, La rentabilité est sûrement au rendez vous.

Il en est de même pour tout, la SNCF ne fait pas exception, c’est « la croix et la bannière » pour avoir un renseignement et même un billet. Tout se fait avec les robots.

Quand je vous dis que les robots attaquent ! Me croyez-vous ? Où sont passés les humains ?

Je crois que le mieux est encore de demander un renseignement à une administration ou un service par téléphone. C’est assez particulier : après décrochage, vous êtes mis en attente avec une musique infernale dans les oreilles. Enfin une voix vous dit : si votre appel concerne telle chose taper 1, si votre appel concerne autre chose taper 2 etc. Si c’est un automate qui reconnait les voix, à coup sûr il ne comprend pas votre demande que vous réitérerez plusieurs fois avant de vous décourager et de vous résoudre à abandonner, sans votre renseignement.

Même si j’utilise un ordinateur, un téléphone mobile, une télévision, tout va très vite et modifie considérablement nos rapports avec les autres.

Force est de constater que j’ai du mal à retrouver aujourd’hui, une certaine convivialité entre voisins, voisines, ou simplement habitants du même village. Je ne connais plus mes voisins. Peut-on dire que les gens sont égoïstes, individualistes, indifférents au sort des autres ? Peut-être, un peu, mais ce n’est pas le seul problème. Ce n’est plus la même vie, en rentrant du travail, nous pouvions dire quelques mots au voisin qui se trouvait devant chez lui au même moment.

Il est certain que, pour les personnes actives, la vie moderne est remplie d’embûches, de soucis, de stress et tout un chacun a hâte de rentrer chez soi, l’oreille vissée au téléphone mobile, et de finir sa journée confortablement installé dans son fauteuil devant sa télévision ou sa tablette, ou bien de s’occuper de sa maison, ses enfants, son budget. Ils n’ont plus le temps de s’intéresser à autre chose.

Je suis retraitée et pour les retraités, les choses sont différentes. En dehors du fait que nous soyons retirés de la vie active qui nous manque, il se trouve que notre vie dans les villages a beaucoup changé. Il n’y a plus de commerces à proximité, nous sommes obligés de prendre la voiture pour aller en courses et nous rencontrons rarement quelqu’un avec qui discuter.

Tout le monde court !

Le journal arrive dans la boîte aux lettres. C’est pratique, certes, mais les nouvelles du village ne sont pas nombreuses. Comment savoir qui est malade, qui a besoin d’aide ? Tiens les cloches sonnent, qui est mort ? Est-ce la nostalgie de « ce qu’il y avait dans le temps » ?

Je m’en veux un peu de penser cela. Je me dis que je suis comme tous ces vieux qui à longueur de temps se plaignent de la société. J’ai un peu de mal à m’habituer, aux nouvelles normes de ce monde qui évolue rapidement, à comprendre toutes ces personnes « accros » au téléphone mobile, à mon sens, ils en sont esclaves.

A-t-on vraiment gagné en qualité de vie avec toute ces machines ?

Désormais les rues sont vides. Lorsque les maisons changent de propriétaires ou de locataires, très peu se présentent aux voisins.

Pourtant je constate que quand Colette tenait encore son café épicerie au milieu du village, j’étais obligée d’aller chercher mon pain tous les jours et je rencontrais des gens qui faisaient de même. Il y avait bien des ragots, mais aussi des nouvelles de l’un ou l’autre. Si quelqu’un n’était pas venu, on cherchait à savoir s’il était malade ou s’il avait des problèmes.

Je me souviens de Maurice qui descendait à l’épicerie chercher une baguette tous les jours, il en avait pour une heure. Chaque fois qu’il croisait quelqu’un, il s’arrêtait pour discuter et, en arrivant à la maison, il racontait à sa femme Denise ce qu’il avait appris. Ça les occupait une bonne partie de la journée de parler de la vie du village.
Tout le monde se disait bonjour. Les enfants avaient tellement peur d’oublier un bonjour que souvent ils en disaient plusieurs à la même personne.
Tous les soirs vers 17 heures on voyait certains messieurs descendre la rue pour se rendre au café « taper une belotte » en dégustant une « chopine ». Ca n’était pas toujours très calme mais c’était « bon enfant » et on se retrouvait le lendemain.

Souvent le soir, on sortait, on s’asseyait à même l’escalier et on regardait les hannetons voleter sous la lumière de la rue.
Les anciens évoquaient les événements de leur jeunesse un chat chaudement blottit sur les genoux.
Ces réunions avaient lieu souvent le samedi soir, le lendemain étant jour de repos, il nous était permis, à nous les enfants, d’y participer à notre plus grande joie. Les soirées d’hiver se déroulaient souvent chez le voisin.
Les chasseurs passionnés racontaient leurs exploits. Suspendus à leurs lèvres et, bien que sûrement un peu « arrangés », ces récits nous passionnaient toujours. Nous les trouvions fantastiques

L’histoire d’une région, d’une commune, d’un village était connue à travers le quotidien de ses habitants. Et pourtant n’est-ce pas tout au long de ces générations que se crée l’identité de chaque région ?

Ceux qui ont façonné leur pays, leur époque par leur labeur, à travers les évènements qui ont traversé leur vie, font le patrimoine de leur région.

Les villageois se réunissaient dans les maisons pour faire des veillées au cours des longues soirées d’hiver.
Au cours de ces veillées à la chaleur, on sortait la mirabelle ou « un petit gris » qu’on faisait au village. Une voisine avait fait une tarte aux mirabelles. Les gens se racontaient des histoires plus ou moins fantastiques. Ces récits se transmettaient de bouche à oreille de génération en génération et, subissant des modifications, ils devenaient de véritables légendes.

Les rares paroissiens qui vont à la messe se rendent dans les villages voisins. Nos églises ne servent plus beaucoup. La mairie fait ce qu’elle peut, mais c’est un centre administratif.

Le facteur qui s’arrêtait pour distribuer courriers et mandats, fait désormais sa tournée en descendant le moins possible de sa voiture, il monte même sur les trottoirs avec sa voiture pour aller plus vite. Mais ne nous plaignons pas, nous avons encore une distribution de courrier,

Tout se fait sur internet, c’est pratique mais il faut suivre et à mon âge tout devient plus difficile. Les jeunes n’éprouvent pas de difficultés à utiliser ces machines. Heureusement mes enfants et petits enfants m’aident à comprendre le fonctionnement de mes différents matériels.

J’ai du dépanner une dame âgée qui n’arrivait pas à retirer de l’argent au distributeur, elle n’avait jamais retiré de l’argent mais, son mari étant mort, elle se voyait obligée de faire cette transaction au guichet. Il lui a été répondu qu’il fallait aller au distributeur...

Nous n’avons plus d’école au village, c’est un grand vide. Les cris des enfants qui sortent pour la récréation nous manque un peu. Le Foyer Rural s’efforce de maintenir une bonne ambiance en proposant des activités diverses.

Vieux ou pas nous devons avancer dans cette vie d’aujourd’hui. Je ne renie pas toutes les avancées créées dans ce siècle. Mais nous avons connu d’énormes évolutions, et j’ai un peu de mal avec certaines.

En électroménager par exemple quelle bonheur ces machines à laver, ces robots qui hachent et cuisent. J’ai acheté une nouvelle cuisinière, j’ai tenu, pour ne pas être trop dépaysée, à acheter une gazinière avec un four électrique. Et bien me voilà devant un problème : pas de bouton pour allumer le four, mais une plaque digitalisée. Il m’a fallu un certain temps pour m’en sortir et je n’ai jamais réussi à mettre la pendule à l’heure.
Et me voilà en panne de four. Pas de possibilité de réparer soi-même, même avec un bon bricoleur. Il nous a fallu faire venir un technicien et attendre longtemps pour avoir la pièce et la facture correspondante.

Autre difficulté, trouver un téléphone qui téléphone. Avec toutes les applications je me mélange un peu.

On a beau me dire que vieillir, c’est faire le deuil du passé, profiter du présent et faire quelques projets d’avenir, cela n’est pas fait pour me rassurer.

Chaque période de la vie à ses bons côtés, il faut savoir les reconnaître et les apprécier. J’ai un peu de mal à m’y faire, la technologie actuelle avance trop vite pour moi et mes bases d’instruction sont limitées. Je dois bien dire que l’avenir me fait un peu peur, surtout pour les personnes qui comme moi, commencent à vieillir sérieusement et n’ont pas la possibilité de suivre cette évolution technique qui va si vite.

Et les personnes qui occupaient les emplois de ces robots, que font-elles ? Vont-elles occuper des fonctions d’aide aux personnes âgées qui ne suivent pas le progrès ?

Depuis peu, on assiste à des réunions politiques avec des présentateurs en hologrammes que les gens applaudissent à tout rompre. Dans ce monde étrange nous croisons un aspirateur qui fait le ménage tout seul, une tondeuse à gazon qui s’affaire à tondre le gazon en suivant sa programmation devant un chat qui n’en revient pas. Nos maisons deviennent toutes électriques et robotisées, le chauffage et les volets se mettent en route à l’heure programmée.

Que dire pour nos vieux jours des consultations dans les maisons de retraite faites par des robots. Déjà certains robots font faire la gym aux résidents.

J’appréhende de devoir changer de voiture car là aussi les robots sont à l’œuvre.

Heureusement, nombre d’entre nous se sont mis à l’informatique ce qui permet un peu de contact via la webcam. C’est important en cette période de pandémie, nous sommes toujours plus ou moins confinés.

Elle est quand même sympathique cette vie moderne ! Le travail à la chaine, modernisé par l’apport des robots, a sûrement facilité le travail des ouvriers, mais cela nous entraîne dans une spirale infernale.

J’ai du mal à retrouver les contacts humains qui sont la base de notre société et je dois bien avouer que je me sens un peu à la traîne.

Et voilà en complément à ce problème, s’ajoute une pandémie, avec confinement. Là nous atteignons un sommet : plus de visite, plus de bisou ni d’étreinte de nos enfants qui craignent de nous contaminer.

Comment faire, à mon âge, pour participer pleinement à la vie de ce monde en pleine évolution et dont l’avenir passe par tous ces robots ?

Euréka ! J’ai trouvé, je vais adopter un petit robot qui va m’aider et me guider.